La réforme du budget de l'État

Les ingrédients de la réussite d'une réforme budgétaire

Month: novembre 2010 (page 1 of 2)

Conclusion

Au cours des dernières décennies, la gestion des finances publiques a subi, dans les pays développés, une véritable révolution. Le budget-programme a remplacé le budget de moyens qui avait été pendant des siècles1 l’outil de gestion financière par excellence. L’emphase a été mise sur les services livrés aux citoyens et la performance de l’administration est appréciée par rapport à l’atteinte des objectifs fixés.

Les assises du nouveau paradigme posées, le modèle a évolué progressivement, redéfinissant aussi les attentes en matière de reddition des comptes. Ainsi, on est passé des analyses d’efficacité (extrants, effets et impacts) et d’économie à celle d’efficience. Par exemple, en Grande-Bretagne, c’est l’Audit Commission2 qui pour les services publics locaux, est chargée de contrôler les trois E (Efficacité, Économie, Efficience) sous-jacents au principe « Value for Money » (VfM).

Plus récemment, encore, on a pu constater une évolution du concept de VfM. Le vieillissement de la population entraîne une augmentation des coûts des services rendus alors que la base fiscale se rétrécit. Il semblerait alors logique que la VfM soit envisagée sous sa seule dimension « Faire plus avec moins »; mais cela paraît insuffisant.

En effet, il est loin d’être évident que les réductions potentielles de coûts (y compris celles induites par l’introduction de nouvelles technologies) pourront permettre de financer les nouveaux besoins. De là à imaginer que l’on doive « Faire autrement avec moins » il n’y a qu’un pas. « Faire autrement avec moins », cela signifie allouer les budgets aux objectifs et non aux activités qui sont censées permettre de les atteindre. Problème de sémantique? Pas uniquement. Une telle démarche suppose 1) l’existence d’un projet social partagé; 2) une hiérarchisation quantifiable des enjeux sociaux; 3) l’allocation des ressources en fonction de l’importance de ces enjeux et 4) le passage au crible de tous les services pour ne retenir que ceux qui y concourent de manière efficiente. Dans le même sens, le Centre for Social Justice britannique, dans sa réponse à la revue du cadre de dépense 2010 notait :

« There needs to be a clear recognition that the government’s priorities should be about the societal outcomes it hopes to achieve and not the services it provides: what matters ultimately is the level of crime and people’s feelings of safety, for example, rather than the number of police or arrests.3»

L’exercice semble difficile, mais la crise financière et budgétaire actuelle va peut-être forcer tout le monde à penser autrement.

Vous pouvez télécharger le document complet à l’adresse suivante : La reddition des comptes (http://spid.com/acrobat/reddition_comptes.pdf)

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1. Même si on peut faire remonter l’existence de documents budgétaires à l’Antiquité, qu’il suffise de mentionner qu’il existait déjà en France au XIVe siècle un État général des finances qui recensait les dépenses et recettes prévues pour l’année.

2. http://www.audit-commission.gov.uk/Pages/default.aspx

3. The Centre for Social Justice (July 2010). Response to the Spending Review Framework 2010: Maximising Social Value. Page 11. www.centerforsocialjustice.org.uk.

 

Chapitre 5 – Le rapport de reddition des comptes

Les rapports de reddition des comptes portent différents noms suivant les pays1; leur contenu peut varier, mais en règle générale, ils traitent tous de la mission de l’Institution Publique (IP), de la finalité et des objectifs des programmes, de l’analyse des résultats et des informations financières.

Malgré cette apparente homogénéité de contenu, les disparités entre les rapports de reddition des comptes des différents pays sont telles qu’il est extrêmement difficile de concevoir un rapport idéal. Chacun d’entre eux à ses mérites et répond aux priorités que se sont donnés les législateurs et les gestionnaires.

Il peut être intéressant d’appliquer mutatis mutandis les principes énoncés dans les avis exprimés par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières au sujet du rapport de gestion des entreprises cotées en bourse2. Le rapport de reddition des comptes devrait alors3 :

  1. Permettre au citoyen de voir l’IP du point de vue des décideurs politiques.
  2. Constituer à la fois un complément et un supplément à la présentation des états financiers.
  3. Être complet et nuancé, donner une image fidèle de la réalité et présenter l’information qui est importante pour juger du bien-fondé des politiques publiques et de leur mise en œuvre.
  4. Adopter une orientation prospective.
  5. Être focalisé sur la création de valeur, soit la fourniture, au moindre coût, de services de qualité à l’ensemble de la population.
  6. Être compréhensible, pertinent et comparable.

5.1 Présenter le point de vue des décideurs politiques

Un budget n’est pas neutre. Comme nous l’avons mentionné précédemment (Chapitre 3), il traduit une intention dont le bien-fondé doit être établi. De plus, il appartient aux pouvoirs publics de démontrer que les objectifs fixés sont cohérents avec cette intention et que les stratégies mises en œuvre pour les atteindre sont réalisables.

Le document de reddition des comptes doit donc permettre de faire partager au lecteur cette vision à la lumière de laquelle les actions gouvernementales seront examinées. Par contre, pour être crédibles les informations présentées doivent être vérifiées et recevoir un aval externe.

5.2 Fournir une information complémentaire aux états financiers

Différents rapports peuvent être jugés nécessaires pour rendre compte fidèlement de l’activité gouvernementale : les rapports de performance, les états financiers, l’évaluation du contrôle interne ou le rapport de vérification. Mais, au minimum, les IP doivent informer le public sur la manière dont elles se sont acquittées de leur mission et les budgets consommés pour ce faire.

Au Canada, les ministères et organismes doivent publier leurs états financiers dans le cadre du processus lié au « Rapport ministériel sur le rendement » (RMR). Les rapports peuvent être fondus au sein d’un même document ou présentés séparément. Le RMR fournit des informations sur les résultats obtenus en regard des objectifs poursuivis ainsi que des comparaisons globales et par programme entre budgets et consommations budgétaires. Les états financiers ont, tant par leur contenu que par leur forme, la facture classique des comptes annuels de sociétés (Déclaration de responsabilité de la direction, état des résultats, état de la situation financière, état des flux financiers et notes).

En France, le projet de loi de règlement comprend le Compte Général de l’État (CGE), qui regroupe l’ensemble des états financiers : bilan, compte de résultats et tableau des flux de trésorerie. Il est accompagné de nombreuses annexes, dont notamment des rapports annuels de performance (RAP) qui précisent, par programme, les résultats atteints et permettent d’évaluer l’utilisation des crédits.

5.3 Être complet et nuancé

Le rapport de reddition des comptes doit être nuancé et factuel. Les résultats doivent être interprétés avec prudence, notamment lorsqu’ils sont soumis à des influences externes. Il doit, par ailleurs, être complet. Cela signifie qu’il doit décrire et expliquer, sans omission ni erreur, tous les évènements dont l’importance relative ne fait aucun doute. Une information doit être reportée dès lors qu’elle peut influencer le jugement du lecteur sur l’évaluation de la performance et ce, qu’il s’agisse de données prévisionnelles (stratégies, objectifs, indicateurs, cibles ou budget) ou réelles.

Mais là encore, l’appréciation du niveau de détail requis varie suivant les pays. Par exemple, le RAP 2009 du Ministère français de la Justice consacrait 38 pages sur 82 (46%) à la justification au premier euro (JPE). Celle-ci consiste en une explication très détaillée les écarts par poste comptable, les mouvements de crédits, les crédits consommés et ce, globalement et par action. Ce niveau de détail ne figure pas, en règle générale, dans les documents canadiens ou britanniques.

Enfin, le rapport doit accorder une juste place à l’examen du respect des procédures et de la réglementation lors de l’exécution du budget. Cette analyse doit aller au-delà des aspects formels et examiner les véritables enjeux. En effet, par exemple, dans certains pays, l’administration recourt abusivement à des mesures budgétaires extraordinaires comme les dépenses avant ordonnancement (DAO) ou les dépenses d’urgence pour contourner l’esprit de la loi; affaiblissant par le fait même la portée des plans gouvernementaux et des prévisions budgétaires.

5.4 Adopter une orientation prospective

Les évaluations contenues dans le rapport de reddition des comptes servent non seulement à faire le point sur l’exécution du budget et l’efficacité des initiatives, mais également à infléchir les stratégies infructueuses. Elles influencent aussi le choix de propositions nouvelles. En effet, l’analyse de la performance des actions passées constitue un point de référence primordial pour les études de coût-efficacité lors de l’élaboration du budget.

En obligeant le dépôt et l’examen de la loi de règlement – et donc du RAP – avant le vote de la loi de finances de l’année suivante, la loi organique française met comme préalable à l’octroi des nouveaux crédits budgétaires, le débat sur l’analyse des résultats passés des programmes.

5.5 Être focalisé sur la création de valeur

Rares sont cependant les pays dont les rapports de reddition des comptes traitent de l’efficience des interventions. Un rapport au Congrès souligne les efforts qui restent encore à accomplir en la matière aux États-Unis4.

Au Royaume-Uni par exemple, la mesure de l’efficience fait partie des rapports ministériels depuis de nombreuses années. Le concept de « Value for Money » est l’une des bases de la préparation du budget et des rapports sur le performance (ce concept sera abordé à l’occasion d’un prochain article sur la nouvelle gestion publique au Royaume-Uni). Une telle approche devrait sans doute être adoptée par les pays en développement dont les ressources limitées ne permettent aucun gaspillage. L’Afrique du Sud s’est délibérément engagée sur cette voie lors de la présentation du budget 2010.

Il faut noter que les progrès en matière sont intimement liés à la mise en place d’un système de comptabilité analytique performant.

5.6 Être compréhensible, pertinent et comparable

Le rapport doit présenter une information utile au lecteur. Le citoyen est beaucoup plus intéressé par les résultats des initiatives gouvernementales que par les actions qui ont été menées pour y arriver. L’information pertinente doit être présentée clairement. De plus, les progrès se mesurant à l’aulne des résultats passés; tant la forme que le contenu doivent être comparables d’une année à l’autre. Enfin, la comparaison des performances de diverses IP peut non seulement contribuer à l’évaluation du personnel et des stratégies de gestion, mais également à l’allocation optimale de ressources budgétaires limitées entre les différentes IP.

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1. Rapport annuel de performance en France; Rapport ministériel sur le rendement au Canada; Departmental Report et Departmental Resource Account en Grande-Bretagne ou Performance Report pour la province de l’Alberta.

2. Le rapport de gestion. Lignes directrices concernant la rédaction et les informations à fournir. ICCA. 2009.

3. Ibid page 13.

4. Streamlining Government – Opportunities Exist to Strengthen OMB’s Approach to Improving Efficiency. Report to Congressional Requesters. GAO. May 2010.

 

Chapitre 4 – L’objet de la reddition des comptes

Si l’exercice de la responsabilité a pour corollaire l’obligation de rendre compte, en quoi celle-ci consiste-t-elle? La reddition des comptes porte essentiellement sur le rendement des programmes, des initiatives, des activités; mais il ne faut pas perdre de vue, qu’en dernier ressort, les responsabilités sont confiées à des individus1 et que, par conséquent, c’est leur performance que l’on évalue. Ces individus doivent informer leurs commettants sur l’efficacité, l’économie et l’efficience de leur gestion. Les termes d’efficience et d’efficacité ont été tellement utilisés à tout propos, au cours des trente dernières années, que leur signification a largement été galvaudée. Pourtant, si leur sens est précisé, leur usage peut contribuer à éclairer le concept de performance :

  1. Efficacité : L’efficacité fait référence à l’atteinte des objectifs fixés pour une activité. Pour apprécier l’efficacité, les résultats doivent être mesurés aux objectifs par le biais d’indicateurs.
  2. Économie : L’économie porte sur l’acquisition de ressources aux meilleures conditions de prix et de qualité compte tenu des quantités nécessaires.
  3. Efficience : L’efficience introduit la notion d’optimisation des ressources. Il s’agit de produire le maximum de biens et services au moindre coût.

Il faut noter qu’il serait vain d’examiner un programme, une initiative ou une activité sous l’un seul de ces trois critères (économie, efficacité ou efficience). Une gestion économe et efficiente ne servirait à rien si elle n’atteignait pas les objectifs des politiques publiques. A contrario, atteindre les objectifs fixés au prix d’une débauche de moyens pourrait être éminemment critiquable.

4.1 La mesure de l’efficacité

Si le choix des indicateurs de performance et la détermination des méthodes de collecte des données sont des étapes essentielles de la mise en place du cadre de rendement, l’analyse de l’efficacité qui s’ensuit est loin d’être un simple exercice mécanique comparant des valeurs ex ante et ex post; c’est en effet, un processus complexe.

Les indicateurs les plus significatifs constatent au mieux l’évolution d’un état, mais ne prouvent jamais hors de tout doute l’existence d’une inférence causale2. Même dans le cas de l’appréciation d’initiatives ciblées, il est difficile de démontrer que les différences constatées entre les situations avant et après l’initiative sont uniquement imputables aux activités qui ont été conduites. En effet, si l’identification de toutes les caractéristiques endogènes d’une situation à un moment donné est compliquée, il est encore plus difficile d’identifier les facteurs exogènes qui sont susceptibles d’interférer avec elle.

Par exemple, comment être sûr que la distribution gratuite de petits déjeuners dans les écoles des quartiers défavorisés est la cause unique d’une augmentation de l’assiduité et ce, même si préalablement à cette initiative, il a été démontré que les élèves qui arrivaient à l’école le ventre vide souffraient d’un manque de concentration. Certaines campagnes d’information ont pu également sensibiliser les parents et les enfants à la nécessité d’une meilleure alimentation, notamment le matin. Certaines initiatives privées ou communautaires de distribution de denrées alimentaires ont pu être mises en place. Le revenu parental des ménages les plus pauvres a pu augmenter (revalorisation du salaire minimum, diminution du chômage…).

4.2 La mesure de l’efficience

De manière générale, la mesure de l’efficience met en rapport les intrants (coûts ou heures travaillées) et les extrants ou les résultats3. L’efficience étant mesurée par un ratio, son amélioration peut résulter soit de la diminution des coûts (ou des heures travaillées) soit de l’augmentation de la quantité des produits et services offerts.

L’analyse coût-efficacité peut être utilisée pour orienter les choix de lors de la prise de décision portant sur de nouvelles initiatives ou pour prioriser des projets ou, encore, pour évaluer a posteriori des interventions. Dans ce dernier cas, l’analyse coût-efficacité constitue un moyen de mesurer l’efficience d’un programme, d’une initiative ou d’une activité.

La démarche suppose que l’on soit en mesure de i) quantifier les résultats (mesure de l’efficacité); ii) calculer le coût des ressources nécessaires pour mener les activités qui ont conduit à ces résultats et iii) mettre en rapport les coûts avec l’efficacité. Cette analyse du rapport entre coûts et efficacité nécessite que l’on dispose de points de référence pour effectuer des comparaisons. Il peut s’agir d’initiatives menées dans des conditions semblables et ayant des objectifs similaires; de résultats qui auraient été obtenus si l’intervention n’avait pas eu lieu ou encore de prévisions budgétaires (pour peu qu’elles aient elles-mêmes fait l’objet d’une analyse d’efficience).

L’analyse coût-efficacité est un instrument approprié de mesure de l’efficience lorsqu’une initiative n’a qu’un objectif principal. Dans ce cas, on peut attribuer sans ambiguïté les coûts des activités à l’atteinte du résultat. Lorsqu’une initiative vise des objectifs multiples, la principale difficulté consiste à déterminer l’objectif principal qui sera sujet de l’analyse.

Il faut être conscient qu’il est extrêmement difficile de comparer des initiatives, même lorsqu’elles ont un objet commun. Par exemple, l’appui aux devoirs aux enfants en difficulté peut nécessiter des approches ciblées – et des budgets différents – suivant le type d’environnement (urbain ou rural), le quartier, la région, l’âge, la langue vernaculaire…

Par ailleurs, il est important de noter que les gains en efficience ne sont pas forcément linéaires. Par exemple, l’introduction de nouvelles technologies est susceptible d’améliorer l’efficience par palier et non de manière continue.

Quelles que soient les difficultés auxquelles il faut faire face pour mesurer l’efficience, l’enjeu est trop important pour que l’on s’en désintéresse. De 2004 à 20084, le gouvernement britannique a créé un fonds de ₤ 300 millions pour financer une initiative pangouvernementale visant à réduire les coûts et à augmenter la qualité et la quantité de services offerts. En novembre 2008, le Trésor estimait que l’initiative avait entrainé des gains annuels d’efficience de ₤ 26,5 milliards dont 60% consistaient en des réductions de coûts et le reste en une amélioration des services publics. Bien que l’ampleur de ces chiffres ait été partiellement invalidée par le National Audit Office, il n’en demeure pas moins que ce dernier a jugé l’impact de l’initiative très important tant sur le plan des résultats obtenus que sur le changement d’attitude qu’il a provoqué chez les cadres.

La Figure 5 et le tableau qui la suit résument les étapes menant à l’élaboration du rapport de reddition des comptes.

 

Figure 5 – De la budgétisation à la reddition des comptes : Les étapes

De la budgétisation à la reddition des comptes : Les étapes

 

Tableau détaillant les étapes allant
de la budgétisation à la reddition des comptes

Tableau détaillant les étapes allant de la budgétisation à la reddition des comptes

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1. Responsabilité de l’individu versus responsabilité de l’institution est le type même de thème sans objet, bien que récurrent. La notion de responsabilité collective, et a fortiori d’une institution, est dénuée de sens. Ce sont des individus, les ministres qui dirigent un ministère et ce sont des fonctionnaires qui appliquent leurs directives. Les seconds sont responsables, devant les premiers lesquels doivent justifier leur action devant l’Assemblée législative.

2. Méthode d’évaluation des programmes. Mesure et attribution des résultats des programmes. Troisième édition. Pratiques d’examen et études Revue gouvernementale et services de qualité. Direction du sous-contrôleur général, Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada.

3. On appelle parfois « mesure de productivité » le rapport inverse soit celui des extrants ou des résultats aux intrants.

4. Cité dans Streamlining Government – Opportunities Exist to Strengthen OMB’s Approach to Improving Efficiency. Report to Congressional Requesters. GAO. May 2010. Pages 33 et 34.

 

Chapitre 3 – La nature de la reddition des comptes

« La reddition de comptes désigne l’opération qui découle de l’obligation de répondre de l’exercice d’une responsabilité. « Elle présuppose l’existence d’au moins deux parties : une partie qui attribue des responsabilités et une autre qui s’engage, en les acceptant, à faire rapport sur la façon dont elle les a assumées1. » Ainsi, toute reddition de comptes comporte l’attribution des responsabilités, le devoir de déclarer le rendement et la surveillance du rendement par un tiers. »2

Dès lors qu’une personne accepte la charge d’atteindre des objectifs déterminés et qu’elle dispose des moyens nécessaires pour ce faire, elle a le pouvoir d’agir et l’obligation de le faire. Ce pouvoir qui lui est conféré induit non seulement une obligation de rendre compte, mais également celle de justifier son action. La reddition des comptes implique non seulement de comparer les résultats aux objectifs, mais également de justifier la manière dont ils ont été atteints. Comme le note Ouellet F. « Le processus vise également à faire la preuve (…), que l’on a fait tout ce qui était raisonnable, avec les pouvoirs et les ressources dont on disposait, pour influer sur l’atteinte des résultats. »3

Être en mesure de rendre compte (comparer et justifier), suppose, qu’en amont de l’action, aient été formulées et divulguées les intentions qui motivent l’action, les objectifs, les normes d’exécution et les ressources à y consacrer.

  1. L’intention : Les pouvoirs publics sont tenus de justifier la raison d’être des politiques qu’ils entendent mettre en oeuvre : Nature et portée des problèmes (Pourquoi?) – Définition et hiérarchisation des services offerts (Quoi?) – Populations cibles (Qui?) – Proposition d’organisation pour livrer les services (Comment?).
  2. Objectifs : Pour se concrétiser en actions, les intentions doivent être traduites en objectifs échelonnés dans le temps. On parlera d’objectifs stratégiques lorsque l’on vise un horizon éloigné et d’objectifs opérationnels ou annuels dans le cadre d’un exercice.
  3. Normes d’exécution : De nombreux pays accordent une importance primordiale à la légalité des procédures en matière de dépenses publiques et au contrôle du respect de la réglementation. En effet, l’action publique s’insère dans un cadre législatif qui, en premier lieu, l’autorise (Loi de Finances) puis la sanctionne (Loi de règlement budgétaire). Entre les deux, l’exécution du budget est balisée par un certain nombre d’étapes formelles (Procédures d’exécution des dépenses), dont le caractère contraignant dépend du degré de latitude accordé aux responsables par la loi.
  4. Prévisions de ressources : La capacité à atteindre les objectifs est subordonnée à l’attribution des ressources financières nécessaires et suffisantes. Dans le cadre d’un budget-programme, il est fait recours à la budgétisation par activité (BPA) ou à des méthodes qui en sont dérivées pour prévoir les ressources nécessaires à la réalisation des activités.
La reddition des comptes consiste à évaluer les réalisations sous les quatre aspects susmentionnés :

  1. Comparer les objectifs aux résultats;
  2. Comparer les ressources consommées aux budgets alloués;
  3. Justifier l’action notamment en démontrant qu’elle s’est inscrite dans l’intention et que lors de sa réalisation, les normes d’exécution ont été respectées.

La Figure 4 ci-après illustre que : i) la notion de responsabilité couvre tout le spectre du processus budgétaire, soit prévoir, agir et rendre compte ii) l’exercice de reddition des comptes vise à expliquer l’incidence de l’action sous tous les aspects qui ont conduit à la prévoir (intention, objectifs, ressources, normes d’exécution) et iii) l’exercice de la responsabilité est sujet à une vérification externe (surveillance du rendement par un tiers).

Figure 4 – De l’intention à l’analyse des résultats

De l'intention à l'analyse des résultats
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1. Rapport du Comité indépendant de révision sur les fonctions du Vérificateur général du Canada (le « Comité Wilson »), Page 9.
2. La reddition de comptes. Bureau du vérificateur interne, Université Laval. Novembre 2005. Page 2.
3. Ibid

 

Le retour du BBZ ?

Un regain d’intérêt

Après une chute de popularité dans les années 90, le budget base zéro (BBZ), semble, depuis quelques années, regagner les faveurs des administrations publiques. En 2009, quinze états américains ont introduit des projets de textes législatifs1 pour implanter le BBZ dans l’une ou l’autre de ses variantes2. Si nombre d’entre eux semblent avoir été abandonnés, l’Unité de recherche législative de l’Assemblée de l’Illinois3 mentionne qu’en 2008 :

  • quatre (4) États utilisaient le BBZ (Colorado, Delaware, Ohio et Oklahoma);
  • trois (3) devaient y avoir recours dans leur prochain budget (Caroline du Sud, Géorgie et Utah);
  • six (6) réalisaient des Sunset Reviews – revues basées sur un BBZ, conditionnelles à la reconduction de programmes (Californie, Floride, Maryland, Missouri, Montana et Oregon);
  • cinq (5) exigeaient que les propositions budgétaires soient justifiées et la priorité des programmes démontrée (Caroline du Sud, Dakota du Nord, Iowa, Maine et Wyoming).
L’utilisation du BBZ n’est pas limitée aux États américains, la méthode a été adoptée tant par des municipalités et que par des États étrangers. Par exemple, la Chine dit avoir introduit le BBZ en 2004 (au ministère de la Défense notamment); le gouvernement indien a demandé aux différents ministères de réviser leurs programmes sur une base BBZ pour la préparation du plan quinquennal 2002-2007; le Royaume-Uni a conduit au cours de la revue des finances publiques de 2007, une série de revues de programmes basées sur le BBZ pour s’assurer de l’efficience et de la cohérence à long terme des politiques publiques.

Le BBZ dans sa version première

Le BBZ est un système de budgétisation mis en place, au début des années 70, par Peter A Pyhrr4, Contrôleur à la société Texas Instruments. Le Gouverneur de Géorgie, Jimmy Carter en favorisa l’adoption par l’État lors de la préparation du budget de 1973. Élu à la Présidence des États-Unis, il incita le gouvernement fédéral américain à adopter le BBZ, ce qui fut fait avec le budget de l’année fiscale 1979.

Le BBZ est, en première analyse, une méthode qui vise à contourner les inconvénients d’une prévision budgétaire par simple incrémentation. Cette méthode postule que toutes les activités, toutes les structures peuvent être remises en question lors de la préparation du budget, que leur financement ne saurait être acquis sans qu’elles aient été scrutées attentivement lors d’un exercice d’allocation compétitif des ressources.

Dans sa version originale, le BBZ consiste à (voir figure ci-après) :

  1. Aux différents niveaux de responsabilité :

    1. Identifier des « Modules de décision » (MD) qu’il s’agisse de programmes, d’actions, de projets ou d’unités organisationnelles.
    2. Définir, pour chaque MD, différentes variantes correspondant à une allocation de ressources :

      • permettant de maintenir des services minimums;
      • préservant le niveau de service actuel;
      • se situant à un niveau médian entre les deux cas de figure précédents;
      • additionnelles permettant d’accroître les services.
    3. Préparer des dossiers justifiant les MD : objectifs (quantifiés si possible), niveau d’effort, analyse coût-efficacité, budget.
    4. Hiérarchiser les MD en fonction de critères de valeur préétablis.
  2. Faire remonter les dossiers au niveau de responsabilité supérieur pour analyse, revue des priorités, consolidation et arbitrage à la marge pour les MD à cheval sur la limite fixée par la contrainte budgétaire.

  3. Budgétiser les dossiers retenus.
Démarche du Budget Base Zéro

Démarche du Budget Base Zéro

Les MD sont essentiellement hiérarchisés à la lumière de trois critères :

  • La contribution à l’atteinte des objectifs stratégiques : Dans quelle mesure le MD contribue-t-il à l’atteinte d’objectifs de niveau supérieur (cohérence)? A-t-il des effets indirects sur d’autres actions? Est-il possible d’évaluer cette contribution par rapport à celle apportée aux mêmes objectifs par d’autres actions?
  • La nécessité : Quels seraient les inconvénients à réduire ou supprimer le service induit par le MD? Qui en subirait les conséquences? L’économie réalisée serait-elle significative?
  • L’efficience : Comment le rapport « coût par unité de service » se compare-t-il avec celui de services similaires ou livrés ailleurs?

L’introduction de variantes

S’il s’est avéré que faire table rase du passé pouvait permettre de réduire de manière significative les dépenses discrétionnaires, la méthode a pu paraître extrêmement lourde lorsqu’il s’agissait de l’appliquer systématiquement, notamment à des programmes pérennes comme ceux relatifs à l’éducation de base qui, d’un point de vue politique, ne pouvaient de toute façon être remis en question. Par ailleurs, la méthode requerrait i) une mobilisation importante des ressources d’encadrement pour la réalisation des analyses; ii) le traitement d’un nombre considérable de données compte tenu des outils informatiques disponibles à l’époque. La méthode a été jugée coûteuse tant en termes monétaires qu’en temps consommé, si bien qu’elle n’a subsisté dans de nombreux cas que sous des formes qui ne conservaient que certains principes du BBZ comme la budgétisation optionnelle (Alternative Budgeting) ou les revues périodiques de programmes.

La budgétisation optionnelle ne garde du BBZ que la partie relative à l’établissement de variantes basées sur un niveau donné de services, la référence étant le budget de l’année précédente. De ce fait, la budgétisation optionnelle vide le BBZ de sa substance et revient à produire des scénarios, ce qui est pratiqué depuis que le processus de budgétisation existe.

Les revues périodiques de programmes basées sur le BBZ partent du constat que si la méthode est coûteuse lorsqu’elle est appliquée sur une base annuelle, elle trouve toute son utilité si les analyses sont réalisées sur un cycle de plusieurs années. La Floride a ainsi initié un cycle de 8 ans en 2001, l’Oklahoma un cycle de 4 ans en 2003 et l’Idaho un cycle de 6 ans en 20095.

Conclusion

Même si les technologies de traitement de l’information sont beaucoup plus performantes que lors de l’introduction du BBZ, son application intégrale demeure coûteuse. A l’heure où, dans les entreprises, les processus de budgétisation et la nécessité même du budget sont remis en question6 et où il est attendu de l’État qu’il fasse plus avec moins, les exercices annuels de préparation budgétaire qui monopolisent les décideurs pendant des mois risquent de ne pas faire long feu.

Par contre, la méthodologie qui sous-tend le BBZ semble parfaitement adaptée à l’analyse des programmes sur une base tournante ou aux revues périodiques des finances publiques. En effet, elle permet d’augmenter la cohérence de l’action publique en s’assurant que les activités convergent vers les objectifs stratégiques; de détecter les budgets « gonflés » et de limiter les gaspillages; d’améliorer l’efficacité et l’efficience des programmes; de responsabiliser le personnel en l’incitant à évaluer les mérites des programmes en termes de Value for Money; de les hiérarchiser et, en dernier ressort, de les financer ou de les interrompre.

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  1. Alabama, Californie, Caroline du Nord , Caroline du Sud, Illinois, Iowa, Kansas, Géorgie, Massachusetts, Mississippi, New Jersey, Ohio, Pennsylvanie, Texas et Virginie.
  2. Zero-Base Budgeting in the States. Document from National Conference of State Legislatures, 2010.
  3. Zero-Base Budgeting in Other States. Legislative Research Unit, Illinois General Assembly. Mary E. Rodgers, Tarah F. Williams, 2008.
  4. Peter A. Pyhrr (1973). Zero-Base Budgeting: A Practical Management Tool for Evaluating Expenses, Wiley.
  5. Zéro-Base Budgeting in the States From The National Conference of State Legislatures. Ron Snell. June 4, 2010.
  6. Voir à ce sujet BBRT – Beyong Budgeting Roundtable http://bbrt.org.
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